FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN -
Militante du MLF et fondatrice des «gouines rouges», Marie-Jo Bonnet
s'est démarquée du mouvement LGBT par son opposition au mariage pour
tous, à la PMA et à la GPA. Elle a accordé un entretien au Figarovox.
Figarovox: Militante historique de la cause féministe, fondatrice des «gouines rouges», vous vous êtes démarquée du mouvement LGBT en vous opposant au mariage pour tous. Vous avez co-signé un appel- avec Jacques Delors, Sylviane Agacinzki et Lionel Jospin notamment- dans Libération pour que le Président de la République interdise les mères porteuses. Pourquoi êtes-vous opposée à la GPA?
Marie-Josèphe Bonnet: Plusieurs raisons font que je m'oppose aux contrats de mère porteuse. D'abord parce qu'il s'agit d'une exploitation du corps de la femme par des hommes ou des couples aisés. Ces contrats étendent de manière presque illimitée le domaine du marché. Tout s'achète, tout se vend, y compris le pouvoir procréateur des
femmes. Ce qui était un acte gratuit devient un acte marchand. C'est le retour de la lutte des classes dans le domaine de la procréation.
C'est donc une instrumentalisation des femmes qui mène à la négation des mères. La CEDH a ainsi condamné la France pour avoir refusé d'inscrire le père biologique d'un enfant issu d'une mère porteuse sur l'état civil, mais pas pour avoir ignoré sa mère biologique, qui n'existe donc pas. Il s'agit donc d'un retour à la «lignée spermatique» caractéristique d'une société patriarcale, où la reconnaissance symbolique est donnée par le père, la mère étant niée.
Que répondez-vous à des féministes, qui comme Elisabeth Badinter, affirment la possibilité d'une «GPA éthique»?
Vouloir introduire l'éthique dans le marché de la procréation est une illusion. Aujourd'hui, on estime ce marché à 3 milliards de dollars par an. Les femmes qui acceptent de se prêter à ce «commerce équitable» sont des pauvres, originaires de l'Inde, ou de pays de l'Est, et même de France comme l'ont révélé quelques affaires l'année dernière.
De plus, comment peut-on parler d'éthique quand il s'agit de promouvoir l'abandon d'un enfant par sa mère! Car rappelons le, le principe des contrats de mère porteuse repose sur l'abandon d'un enfant par sa mère, qui l'a porté, nourri et eu des échanges vitaux avec lui pendant 9 mois.
Vous allez plus loin que la simple condamnation de la marchandisation du corps des femmes, et dénoncez également la PMA, qui est pourtant une revendication essentiellement lesbienne. Pourquoi?
Je m'oppose à la fois à la médicalisation de la procréation (non justifiée dès lors que les lesbiennes ne sont pas stériles) et à l'occultation de l'origine paternelle de l'enfant. Je ne crois pas qu'un enfant soit mieux élevé par un couple hétéro qu'un couple homo. Là n'est pas la question. L'important est que l'enfant ait accès à sa double filiation. La filiation monosexuée n'existe pas, c'est un fantasme. De plus, on ne connaît pas les conséquences de ces choix procréatifs nouveaux. Certaines études nous disent que les enfants de couples homosexuels vivent très bien, que c'est merveilleux, mais la vérité c'est qu'on manque de recul pour mesurer quels risques on prend en acceptant la médicalisation sans limite de la procréation.
Plus généralement je suis contre l'expérimentation sur l'humain. Et l'aspect «bio-technique», consumériste de la PMA (un enfant sur commande, fabriqué en laboratoire) m'effraie. Si les lesbiennes veulent des enfants, elles peuvent très bien se débrouiller sans aller dans en clinique!
Je suis effarée par le caractère injonctif de certaines revendications, comme si le droit devenait le «sésame ouvre-toi» de l'égalité, comme s'il n'y avait pas d'autres moyens, et surtout un lien d'égalité obligatoire entre les contrats de mère porteuses et la PMA. L'enfant n'est pas un droit, et pour cette raison, on ne peut pas appliquer la logique d'égalité entre les sexes.
Vous avez écrit un livre Adieu les rebelles, où vous fustigez le tournant pris par le militantisme LGBT. Que lui reprochez-vous?
Le militantisme homosexuel est dirigé par un petit groupe politiquement organisé, autoproclamé qui impose ses intérêts, ses désirs et ses choix, en taxant d' «homophobes» tous ceux qui ne sont pas d'accord avec eux. Le débat démocratique a été pris en otage par ce groupe, que certains qualifient «d'homocrates», à l'intérieur même du mouvement LGBT où on ne peut plus discuter des modalités de reconnaissance de l'homosexualité, des stratégies à développer, des contre-pouvoirs culturels. Les rapports de pouvoir à l'intérieur même du mouvement ont changé: les revendications féministes ne peuvent plus s'y faire entendre car malheureusement, le mouvement homosexuel ne s'intéresse plus vraiment à l'égalité hommes-femmes. Il est devenu impossible de militer ensemble, hommes et femmes, gays et lesbiennes, car nous n'avons plus les mêmes objectifs et priorités. Le féminisme et la cause gay, jadis unis dans un même combat pour la liberté, sont aujourd'hui deux causes divergentes. Ainsi la Coordination lesbienne a quitté l'inter-LGBT de Paris à cause de ses positions favorables au marché et la prostitution, des positions contraires aux fondamentaux féministes.
Vous dénoncez la mainmise des «gays» sur le mouvement homosexuel, qui lui auraient imposé un tournant consumériste et bourgeois…
C'est effectivement le constat que je suis obligée de dresser. La cause homosexuelle est gagnée par une sorte d'idéal néolibéral qui l'amene à tourner le dos à l'idéal de changement social des années 1970.
Les principaux leaders de la cause gay se sont coupés de la contre culture émancipatrice. Décimée par l'hécatombe du sida dans les années 1990, la communauté homosexuelle a perdu ses esprits les plus vifs, les plus subversifs, les plus critiques (je pense bien sûr à Guy Hocquenghem). La subversion homosexuelle qui s'exprimait dans une contre-culture originale à travers la danse, la littérature, s'est transformée aujourd'hui dans une revendication petite bourgeoise d'un droit au mariage et à la famille qui pousse à devenir «comme tout le monde». Autrement dit à rentrer dans le modèle dominant.
La revendication d'un droit à l'enfant en est-elle une conséquence?
La revendication d'un «droit à l'enfant» est en effet une conséquence de cette domination masculine à l'intérieur du mouvement homosexuel. Les femmes peuvent toujours avoir des enfants. Les hommes en revanche doivent passer par les femmes: ils veulent aujourd'hui à la fois avoir des enfants et se passer des femmes, ils ont pour cela besoin que la loi les autorise à «fabriquer» des enfants.
En réalité, c'est la reconnaissance de l'homosexualité dans sa spécificité qui est niée, puisqu'il s'agit désormais pour les homosexuels de rentrer dans le rang (hétérosexuel). L'impossibilité d'avoir des enfants est une limitation intrinsèque qu'il faut accepter. Ce qui n'a jamais empêché des homosexuels d'en avoir. Ce qui change aujourd'hui, c'est l'alliance avec les biotechnologies qui rend possible des choses impensables avant. Nous devons avoir un débat de fond sur le type de société que nous voulons mettre en place.
Certes, mais vous-même, à la suite du mouvement de mai 1968, avez emboité le pas à l'idéologie du désir, au «jouir sans entraves»: dès lors, ne récoltez-vous pas ce que vous avez semé, à savoir la revendication illimité de «droits à»?
Je crois qu'il y a une différence entre ce que vous appelez «idéologie du désir» et les «droits à» qui s'appuie sur un égalitarisme mal compris. Le désir, l'amour sont libres, et échappent à la volonté. Le «projet parental» la «volonté de devenir parent» risque de promouvoir une forme d'appropriation de l'enfant où la volonté (de puissance?) prend le place du désir qui doit rester une énigme échappant à la surenchère juridique. Et puis, est-ce que désirer une personne de son sexe revient à désirer faire un enfant avec elle?
Vous fustigez dans votre livre la «normalisation» des homosexuels, qui ont abandonné la subversion pour se jeter dans les bras du conformisme petit-bourgeois. Ne fantasmez-vous pas une homosexualité marginale qui serait forcément subversive? Les homosexuels n'ont-ils pas le droit aussi à la banalité?
L'homosexualité est différente. Désirer son propre sexe à un sens, une histoire, un but. Nier cette différence, c'est nier la spécificité même de l'homosexualité. Si on ne comprend pas ça, on ne peut pas comprendre pourquoi elle a été autant stigmatisée dans l'histoire.
Certes, mais quand vous vous battiez dans les années 1970, c'était pour la reconnaissance d'une certaine «normalité» de l'homosexualité, et notamment contre sa pénalisation et sa pathologisation…
Nous nous battions pour la liberté, pas pour une pseudo égalité juridique. Nous nous battions pour être libres d'être homosexuels et contre cette «normalité» que l'on dressait devant nous comme un objet de désir, contre ce «droit à l'indifférence» qui est un piège. Pour que l'on respecte les divers modes de vie. Nous nous pensions comme un contre-pouvoir, par rapport à une norme dominante, qui, de toute façon, existe de facto. Nous ne voulions pas devenir nous-même la norme!
La lutte contre l'essentialisme se transforme-t-elle aujourd'hui en indifférenciation des sexes?
Une des dérives du néo-féminisme est d'espérer dépasser l'inégalité des sexes par l'indifférenciation. Aujourd'hui, pour être égales aux hommes, il ne faut plus être femme. L' identité est composée de différentes données qui fait de nous des êtres à la fois semblables et différents.
On a dans le mouvement LGBT contemporain un déni du corps et de sa réalité biologique qui sont étonnants. L'idée que toute différence serait une domination construite, alors qu'il existe indéniablement un «reçu» un donné à la naissance. Le mouvement «queer» importé des Etats-Unis imagine que nous sommes des sujets sans structure ni identité, capables de passer d'un sexe à l'autre. La personne ne se définit pas uniquement par le «social», par les «stéréotypes sociaux», mais par des choses beaucoup plus profondes et multiples, un inconscient, une psychologie, une liberté de contester les conditionnements sociaux et d'assumer ce que l'on est. Le communautarisme LGBT réduit le sujet à une seule dimension: sa sexualité, et en fait une essence.