PROPOSITION DE LOI CLAEYS-LEONETTI SUR LA FIN DE VIE
Cette proposition de loi s’inscrit dans une situation sanitaire qui alarme beaucoup de nos compatriotes.
La mort à l’hôpital les angoisse par la conjonction de plusieurs phénomènes :
- Par
suite de l’absence fréquente d’infirmières de nuit dans les EPHAD,
nombre de résidents, lorsque leur état s’aggrave pendant la nuit, sont
transférés aux urgences de l’hôpital, services très encombrés
spécialement dans les premières heures de la nuit, car toute la misère
du monde y afflue : parents inquiets pour leur enfant, SDF blessés dans
des bagarres, personnes seules angoissées…, et les véritables urgences.
Difficile souvent de voir de prime abord ce qui est urgent et ce qui ne
l’est pas. Il arrive donc, trop souvent malheureusement, que ces résidents décèdent sans véritables soins et dans la solitude sur un brancard de ce service
- Les
unités de soins palliatifs et les réseaux de soins palliatifs à
domicile sont en nombre très insuffisant pour répondre aux besoins et
sont inégalement répartis sur tout le territoire.
- Les traitements de la douleur sont souvent peu ou mal appliqués dans de nombreux services.
- La loi sur les soins palliatifs et la loi LEONETTI ne sont pas suffisamment connues et appliquées.
La proposition de loi part donc d’un constat réel. Apporte-t-elle les bonnes réponses ?
Concernant
le développement de nouvelles unités de soins palliatifs, le texte en
reste à des vœux pieux sur la nécessité de le faire.
Sur la nécessité d’introduire une solide formation des étudiants, des médecins et
des soignants en général au traitement de la douleur, aux soins
palliatifs et à l’accompagnement, là encore on reste sur des « il
faudrait », « on devrait ». On ne sent pas une volonté très ferme d’y
parvenir.
Dans nos interventions écrites et dans nos rendez-vous avec les élus,
il est important de partir du réel. Nous ne pouvons pas nous opposer en
bloc à cette proposition de loi. Les trois évolutions proposées
ressortent d’un consensus qui s’est dégagé à travers tous les rapports
remis depuis deux ans sur la fin de vie. Nous ne voudrions aucune de ces
trois propositions, qui sont un durcissement de la loi LEONETTI. Mais
elles suivent la volonté de plus en plus souvent exprimée de nos
concitoyens d’être maîtres de leur vie et de leur mort, de reconnaître
une autonomie toujours plus grande à l’individu
dans la prise de décision. Avec l’incohérence de vouloir l’aide des
autres pour exécuter leur volonté !
Nos propositions sont donc des ajustements des articles proposés, dans le but d’éviter les positions extrêmes qu’entraînerait un rejet pur et simple de la loi et l'adoption d'une loi pire.
Notre proposition
En préambule de la loi, doit figurer :
-
l’obligation de développer réellement les soins palliatifs afin de
répondre aux besoins, donc d’y allouer des moyens conséquents
-l’obligation
d’inclure dans la formation des étudiants en médecine un enseignement
obligatoire sur le traitement de la douleur, la loi sur les soins
palliatifs, la loi LEONETTI
- l’obligation pour les médecins et les soignants en exercice de se former
Article Premier
Modifier l’article L 1110-5 du code de la santé publique proposé. Après le 2ème alinéa : « Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée », ajouter « et a donc droit sur tout le territoire aux soins palliatifs décrits à l’article L 1110-10 ».
Remarque :
Toute vie est digne, cela ne relève pas que des professionnels de
santé. La famille, les proches ont leur place dans l’accompagnement des
personnes en fin de vie. Le rapport SICARD demandait
des mesures favorisant l’accompagnement en fin de vie (possibilités de
congé de solidarité familiale renforcées, associations de bénévoles
soutenues, développement des formules de répit). Rien de tout cela dans la loi.
En outre, les professionnels de santé ne pourront agir que s'ils disposent des moyens budgétaires et humains pour cela. Il est notamment indispensable d'intégrer les actes d'accompagnement dans la tarification médicale.
Article 2
L’article
L1110-5 de la loi LEONETTI prévoyait que « lorsque les actes
apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le
seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. »
Dans la nouvelle rédaction de cet article, le « peuvent » est supprimé et l’article indique « ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris.
A la fin de l’article est ajouté : « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ».
Notre proposition
Rétablir le « peuvent » être suspendus…
Pour la nutrition et l’hydratation artificielles, introduire : « peuvent » constituer un traitement (cas des malades en fin de vie).
Article 3
Cet
article est ajouté et stipule qu’ « A la demande du patient d’éviter
toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie, un
traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération
profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre…
Cet
article doit être réécrit. Son ambiguïté fait envisager une possibilité
d’euthanasie. Quelle est l’intention du législateur : éviter toute
souffrance et/ou, dans certains cas, provoquer le
décès ? Pourquoi associer obligatoirement arrêt de traitement et
sédation profonde et continue jusqu’au décès ? Tout arrêt de traitement
ne s’accompagne pas forcément de douleurs intolérables.
Cet
article ne laisse plus d’espace pour le soignant. De plus, cet
automatisme est très inquiétant. La décision de lier les deux devrait
être laissée à l’appréciation du médecin dans un colloque singulier avec
son patient. Nombre de médecins pourraient être mis dans une situation
profondément contraire à leur éthique.
Notre proposition
Soit dissocier arrêt de traitement et sédation profonde, soit accorder la clause de conscience aux médecins.
Dans
tous les cas, ajouter, après l’alinéa « Le traitement à visée sédative
et antalgique prévu au présent article est mis en œuvre » conformément aux recommandations de bonnes pratiques édictées par les sociétés savantes. En
effet ces recommandations sont essentielles au jugement médical. Dans
le cadre de la loi, elles sont validées par la mise en commun des
expériences et peuvent sans cesse être améliorées. La loi ne doit pas
s’immiscer dans l’exercice de la médecine et empêcher la mise au point
de ces « bonnes pratiques ».
A dénoncer
Dans
l’exposé des motifs de la proposition de loi, il est dit : « le rapport
de cette commission [commission SICARD] plaide pour [ …]
l’administration d’une sédation à but terminal, encadrée. »
C’est une interprétation abusive de ce rapport qui dit :
«
Pour la commission, les critères qu’une loi voudrait imposer dans ce
type de décision [sédation profonde accélérant la survenue de la mort]
ne pourront jamais contenir toute la complexité et la diversité du réel.
Mais il paraît évident à la commission que, dans l’esprit de la loi
LEONETTI, ce serait une sorte d’acharnement de « laisser mourir » ou de
« laisser vivre » une personne, après arrêt de toue traitement et des
soins de support. »
« Aux yeux de la commission, cette
grave décision relève d’édictions de recommandations de bonnes
pratiques d’une médecine responsable, plutôt que d’une nouvelle
disposition législative. »
Article 5
1er alinéa :"Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas subir tout traitement"....
2ème
alinéa : "Le professionnel de santé a l'obligation de respecter la
volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses
choix et de leur gravité."
Ce 2ème alinéa limite le rôle du médecin. Dans la loi de 2005, "le médecin doit tout mettre en oeuvre pour convaincre
la personne d'accepter les soins indispensables". Le médecin devient
l'exécuteur des volontés du patient. Le terme médecin est remplacé par
"le professionnel de santé". Ce n'est sûrement pas anodin. Un
professionnel de santé autre que le médecin serait-il habilité à
recueillir la volonté du malade ?
Notre proposition
Le
médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne, après
s'être efforcé d'éclairer son patient dans un dialogue singulier sur les
conséquences de ses choix et de leur gravité.
Article 8
« Toute
personne majeure et capable peut rédiger des directives anticipées pour
le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté… Elles
sont révisables et révocables à tout moment… Elles s’imposent au médecin
[…], sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une
évaluation complète de la situation » ou « si les directives anticipées
apparaissent manifestement inappropriées »
Notre proposition
Rétablir une durée de validité limitée,
car la volonté d’un individu fluctue suivant son âge, sa situation, la
volonté du malade fluctue au cours des étapes de la maladie.
Encourager
la rédaction de ces directives en lien avec le médecin traitant, le
conjoint, la famille ou la personne de confiance. Ces directives ne
peuvent être le remplissage d'un simple formulaire administratif (type
CERFA).
L’équipe bioéthique de la Confédération
11 février 2015